la goulue
la terre de notre enfance a une odeur de vache
une odeur de colza qui agrippe les yeux
et qui fait pleurer par nos paupières rouges
des larmes de pollen
la terre de notre enfance reflue de vase verte
d’écume de Loire en crue, en tapis de lentilles
elle laisse sur la peau une pellicule d’écailles
une peau d’anguille
elle sue le gamay, l’Aubance et le Layon
en gouttelettes moelleuses d’or et de violine
elle laisse au fond du verre le tanin des années
au fond de la gorge le chenin du soleil
la terre attire les guêpes sur les pâtés aux prunes
elle est paysanne, on y danse pieds nus,
à même l’argile, à même le schiste,
sur des souvenirs blanchis d’Armorique
elle souffle la révolte dans l’accordéon
dévale au Pont Barré,
elle hurle à la Lune du fond des fosses Cady
où des grands-pères dorment du sommeil de plomb
la terre de notre enfance tremble au bord du gouffre
en filons de quartz
son cœur brûlant bouillonne hors des sources,
jusqu’au bord de nos lèvres en patois gouleyant
la terre de notre enfance nous roule sous les pieds
nous traîne dans la boue, nous tire à la baille
sur un coup de tête de silure moustachu
la goulue