Je veux parcourir le monde sur ma trottinette à coussins d’air, gravir les
montagnes à la chaîne et leurs chapelets de coteaux couverts de raisins, comme
autant de petites crottes de bique. Brinquebaler dans les eaux fuyantes des
torrents têtus et déterminés à descendre plus bas quoiqu’il arrive. Je veux
m’écorcher aux ronces, m’écharder aux troncs, avaler de la forêt jusqu’à m’en
faire vomir de la mousse verte et des musaraignes. Courir dans les steppes, me
râper les genoux sur les cailloux, attraper des poux. Je veux aussi nager comme
un jeune chien dans le fleuve furibard au coup d’œil rapide, me mouiller même
les cheveux dans la baille glacée, faire des vagues, m’éclabousser de ciel et puis
faire une pause sur un banc de sable frais et dispo. Je veux être brassée par des
courants fantasques jusque vers les mers chaudes, m’amarrer aux dos des
dauphins, dériver au fil des marées, laisser couler le sel sous mes ongles. Je veux piquer des sprints contre le vent, comme une dératée, sur des plages de sucre où j’irai m’enterrer jusqu’au cou avant de repartir en me léchant les mains. Je veux que ça me colle aux pieds jusqu’à la gerçure. Après, je veux danser sous les nuages, accumulés en nimbes neigeuses et faire un bonhomme de nuages, oui, une carotte pour le nez et des étoiles à la place des yeux. Je veux faire l’amour avec une femme dans un lit de chatons au son du vol indécis de libellules paumées. Pouvoir toucher un corps et que mon corps soit touché, pour de bon jusqu’au trognon des chairs, jusqu’à l’ivresse des profondeurs. Après l’amour, la paresse sur un pédalo bleu, au milieu d’un lac, avoir les pieds qui ripent sur la fibre de verre, boire du lait. Je veux l’apoplexie des sens, le privilège des sourds,le silence des bourgades à l’heure où Dieu se mange en rondelle de gluten appauvri. Je veux rallier les villes, les relier de mes errances, venir flatter leur orgueil de gamines allumeuses en leur baisant la bouche de ma bouche incisive. Et y défier les codes, pirater les décodeurs, marcher à côté des clous, en dehors des chemins, des crottoirs à cabots. Soulever un peuple entier contre les cités playmobil et leur cohorte de lampadaires de plastique, d’arbres écervelés et de merde. Je veux la vie, la vraie, la rigolade, l’étreinte, celle qu’on me raconte depuis do l’enfant do jusqu’à l’ici gît et dont je n’ai toujours pas vu le bout de la queue. Je veux secouer la Terre, c’est la faute à Richter, la dérider, en somme. Lui faire cracher sa moelle, à l’aïeule. Je veux, le soir venu, me balader en somnambule dans les rues folles d’une Espagne pompette, danser la gigolette en sirotant du rouge. Pouvoir dormir à plat ventre sur un trampoline dans un cirque de plein air, ronfler très fort. Me réveiller au matin au milieu des forains déjà affairés, des mouillettes dans un œuf, le ventre concertinant à la cadence du roulement de tambour. Je veux rugir et m’étirer dans l’arène, décrocher les cocardes des tribunes présidentielles, oui. Je veux chanter dans l’air déjà pesant du petit jour, chanter et aimer ça. Je veux m’opérer à ciel ouvert, me décrasser le cœur de tous les broutilleurs qui s’y ventousent. Je veux des poivrons et des clarinettes, des hommes souriants et une trottinette.