Mer chérie
La mer charrie des corps
Noirs, marrons, gris, sur la blanche écume
La mer charrie des morts, la mer vomit des frusques
Ça lui déborde aux commissures, elle n’en peut plus de ces fantômes
Elle n’en veut plus de ces humains, l’espoir sous leurs paupières closes
à jamais
La mer roule des yeux, au fond d’orbites secs
Elle roule des crânes et des ventres gonflés
Elle ressasse des paroles au bout de langues mortes
Et glisse sur des peaux desquamées et diaphanes
Ces vies qui s’enfuyaient sont à jamais enfuies
Ces mots qui espéraient sont à jamais enfouis
Les peaux noires et café cèdent la place par plaques
à une croûte blanche et salée
Et, ironie du sort, enfin, plantées dans le sable
Ces peaux ressemblent à celles des colons d’hier
Ressac, ressac, ressac, la mer donne et reprend
A l’infini des corps sur la plage, qui roulent
Des visages dans le sable, des pantins à plat ventre
Des humains, bras en croix, dans une ultime transe
Elle donne et elle reprend, donne et reprend encore
L’odeur monte vers le ciel
L’odeur de la mort inutile
Et de l’échec
Et de la honte
Et avec elle monte l’horreur
Et le dégoût
Et le vomi
Et un jour enfin, avec la marée, montera le cri
Celui qui déchirera le couvercle
Celui qui fera sauter les verrous
Crié par des milliards de bouches vivantes et amies
Qui fera se lever les hommes et les femmes
Qui crèvera l’ozone, asséchera les mers, aplanira les pics, gommera les frontières
Et les corps sur la mer ne seront plus les mêmes
Sur le dos, les humains regarderont le ciel
Aspireront la vie à même l’espace, par leur bouche rouge et leur peau noire
La mer chérira des corps, vivants, gracieux et fiers
Libres et flottant
Libres et flottant