Ton regard
Dans ton regard j’ai vu la brume de l’alcool comme une cataracte
Jaillir de part l’iris
J’ai vu le cirage noir acheté pour du shit
Au petit crack qui crèche dans le bâtiment D
Quand tu le fumes, tu crois très fort que tout s’éclaire
Jusqu’à ce que l’oasis disparaisse soudain
Pour te laisser au cœur une nausée amère
Et aux neurones un creux qui t’enserre et t’étreint
J’ai vu dans ton regard la lame du couteau
Qui jaillit sans mot dire de sous une veste blanche
Et qui vient menacer d’une vrille nerveuse
Ta gorge gonflée à bloc par la peur et le cri
J’ai vu aussi le gosse que tu étais avant
Au collège, en CP, dans les bras de ta mère
Le gosse qui hurlait dans ses jeans trop grands
Et qui serrait les dents aux absences du père
Parti on ne sait où pour on n’sait combien d’temps
Parti au boulot comme on part à la guerre
Tout ça, je l’ai bien vu, dans ton regard trouble
Lorsque tout à l’heure tu es venu me voir
Et que tu m’as priée, gentiment, poliment
De donner 20 centimes en échange d’un regard
20 centimes pour manger, 20 centimes pour tenir
Tu m’as même dit madame, je dors dans la rue
Et comme je disais non, désolée, je n’ai pas
Tu as fait demi-tour et tu es reparti
Avec ta casquette Nike et ta veste Armani
Avec tout plein de marques comme autant de diamants
Un parfum de minet te suivait discrètement.
Pauvre homme, pauvre homme, pauvre homme
Au regard ahuri, qui embête les passants !
Pauvre homme au regard vide qui fait peur aux enfants !
Pauvre, pauvre humain, qu’as-tu fait de l’enfant ?
Tu demandes 20 centimes et tu perds tes 20 ans !