Nous avions construit un radeau
Avec du bois trouvé et de la corde cassante
Nous avions découvert dans les livres
Les méthodes simples et les conseils
Nous avions construit un radeau
Déglingué, mal dégrossi, mais fringuant
Dézingué, branlant, mais téméraire
Aléatoire, éberluant mais ravissant
Avec ce rude esquif, nous voulions voguer toute la vie
Face aux écueils, face aux monstres et aux intempéries
Nous voulions voguer coûte que coûte
Dépassant les détroits et les doutes acérés
Hardi, hardi, du bateau !
La route était bien trop longue
Hardi, hardi, et les planches de notre radeau
Étaient devenues notre geôle !
Sur le radeau, au milieu de rien,
Sans aucune brise pour nous ravir
Le désespoir du quotidien
Brûlait nos lèvres et nos désirs
Où donc était la terre attendue ?
Où donc poussaient les fruits du paradis ?
Alors que nos dents tombaient de nos gencives
Nos esprits carencés déliraient en cadence
Sur un hémisphère inconnu,
Nous dérivions sans plus d’espoir
Lorsqu’une lueur venue d’en bas
Dirigea soudainement notre errance
Nous sommes descendus du radeau sur un sol boueux et lourd
Les jambes hésitantes et meurtries d’escarres profondes et putrides
Laissant derrière nous la Méduse, nous avons suivi un sentier
Bras ballants, mine hagarde, déconfits et honteux
Et nous avons retrouvé là notre maison et le village
Nos préparatifs de départ et nos projets de fortune
Rien n’avait bougé en notre absence
Tout attendait notre retour
Nous avions construit un radeau, il croupissait dans le marais
Les cordes cassantes avaient lâché et la structure se disloquait
Comme un vieux jouet d’une autre enfance
Comme une réminiscence d’amour dans un sillage déjà perdu